Retour d’expérience sur l’accueil du convoi de l’eau à Paris avec les Digitales et la Baudrière



Ce texte témoigne de la rencontre entre les organisateurices du festival d'écologies anarchistes les Digitales, dont certainEs habitantEs du squat de la Baudrière, et des membres du Convoi de l'eau en Août 2023 .


Le vendredi 18 août 2023, un Convoi de l'eau à l'ampleur inédite de 700 vélos et plusieurs dizaines de tracteurs s'est élancé depuis les abords de Sainte-Soline. Organisé par Bassines non merci, la Confédération paysanne et de nombreux autres acteur·ices, le Convoi est composé de 4 pelotons, s’étend sur 3km et s'apprête à traverser l'ouest de la France jusqu'à Paris, le 26 août. Au même moment la Baudrière, squat anarcha féministe transpdgouine, ouvert depuis presque 2 ans à Montreuil, s'active suite à une décision de justice rendue le 16 août, refusant d'octroyer à ses habitantEs un délai d'occupation supplémentaire. Au coeur de l'été, tout s'enchaîne : barricades, nouvelle ouverture de squat, déménagement et organisation de la 3ème édition des Digitales, festival d'écologies politiques se pensant et se pratiquant depuis les marges. Le squat est expulsable dès le 21 août mais compte bien se défendre (1) et organiser la saison estivale des Digitales, prévue du 24 au 27 août !  L'arrivée du Convoi de l'eau en Ile-de-France doit se faire l'avant-dernier jour du festival et se conclure par une soirée de rencontre et de fête, à la Baudrière. Le symbole est fort : un mouvement écologiste orienté vers la défense des communs, ancré dans des espaces ruraux (reprise de terres arables* et lutte contre leur bétonisation dans le cadre de grands projets inutiles et contre la privatisation de l'eau) avec un squat trans pédé gouine féministe mêlant des existences marginalisées. 


Ces luttes sont mêlées parce qu'il existe une pluralité d'habitats écologiquement radicaux : comme les ZAD et les actions de défense des communs prônées par des mouvements écologistes, le squat urbain, l’occupation, l'organisation et la solidarité dans les quartiers populaires s’opposant à la propriété privée, à l’appropriation des ressources, à la ville quadrillée et métropolisée, aux espaces marchands. En ville, des dynamiques d’embourgeoisement ségrèguent et servent de justification à la bétonnisation des banlieues. Face à cela, nous luttons pour dessiner et faire exister d’autres perspectives, celles d’un monde plus vivable avec d’autres manières d’habiter, où les habitantEs sont une force revendicatrice, une puissance capable d’agir. De plus, les ravages écologiques impactent de mille façons différentes les dimensions inséparablement naturelles, culturelles, sociales et économiques de nos vies. Ils recoupent les autres formes d’oppressions, qu’elles soient néocoloniales et racistes, cis-hétéro-patriarcales, validistes, classistes. Cela nous impose de considérer nos luttes écologistes comme plurielles et complexes. C’est pour cela qu’il nous paraît essentiel de parler deS écologieS et de les faire exister aux yeux de toustes. 


Le Mardi 22 août, le Convoi se rapproche d'Orléans quand, au petit matin, la Baudrière est attaquée par les flics. Au mégaphone et sur les boucles signal, l'expulsion est suivie en direct depuis les routes du Loiret - la Baud résistera pendant plus de 4 heures, grâce aux super barricades et à la détermination de ses habitantEs et leur soutien à défendre leur maison (2) ! À midi, 44 personnes sont placées en garde à vue dont 26 personnes qui occupaient la Baudrière. Une opération d’ampleur, mobilisant près de 200 flics, tout ça pour qu’un bâtiment vide depuis plusieurs années soit remis à son propriétaire, l’Église catholique, qui détient à elle seule près de 700 millions d'euros de biens immobiliers ! Malgré cette expulsion, de nombreuses personnes restent mobilisées pour que les Digitales se déroulent comme prévu. Il faut cependant mettre en place des plans alternatifs, réorganiser l'accueil du Convoi de l'eau, la communication et le festival.


Le Convoi de l'eau était "une grosse machine", coordonné par trois organisations nationales s'appuyant sur des collectifs locaux à chaque étape. L'étape parisienne n'était claire pour personne, ni dans son contenu ni dans ce qu'elle devait représenter et il fut même question à plusieurs reprises de tout simplement l'annuler. Paris se trouvant à plusieurs centaines de kilomètres d'Orléans, l'étape précédente, cela représentait toute une logistique, avec son lot de barnums, lumières et toilettes sèches. Ce manque d'intérêt pour l'étape parisienne - un territoire géographiquement déconnecté de la question des méga-bassines du marais poitevin - tout en laissant une certaine liberté au collectif, impliquait que tout était à faire sur place.


La charge de travail qu'implique une mobilisation d'ampleur, associée au manque de temps et de communication, a rendu quasiment impossible le temps de la discussion qui nous aurait permis de prendre du recul par rapport à nos pratiques. Malgré les désirs initiaux, ces deux mois d'organisation de l'arrivée du Convoi de l'eau à Paris devant le ministère de la transition écologique et en soutien à la Baudrière, ont par moments ressemblé à un mélange d'idées inabouties par manque de coordination entre les diverses organisations.


En parallèle de l'organisation des Digitales, cette liaison politique s'est accompagnée, du côté des habitantEs de la Baudrière, de craintes vis-à-vis de l'héritage politique des Soulèvements de la terre (ayant rejoins tardivement l'organisation du convoi de l'eau à cause de la menace de leur dissolution) et de leur généalogie* qui a marqué le milieu politique écologiste radical autour de la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes. 

En effet, de nombreux écrits ont documenté les conflits et les dynamiques de rapports de pouvoir qui ont eu cours à la ZAD de NDDL avant 2018 et lors des négociations avec l'Etat, après l'abandon du projet d'aéroport. Cet héritage politique a suscité de nombreuses discussions au sein de la Baudrière : Comment dépasser à la fois les écrits et les "on dit" du milieu militant tout en écoutant les traumatismes et aspirations politiques de certainEs qui ont vécu ces luttes ? Pour certainEs, construitEs sur une culture politique anti-appeliste, il était catégorique de ne pas s'organiser avec les Soulèvements de la terre, émergeant de Notre-Dame-des-Landes. Ce rejet provient de ne pas s'affilier aux perspectives émanant du texte de l'Appel. C'est pour elleux un modèle qui, sous prétexte d'efficacité au sein des luttes, ne porte pas assez l'horizontalité et empêche les réflexions et remises en questions nécessaires pour traiter des violences qui peuvent exister dans nos milieux militants.


On pense que ces craintes font écho aux interrogations de toute une partie du milieu militant vis-à-vis de la dynamique des Soulèvements de la terre. Leur capacité à réunir une composition large autour de modes d'actions offensifs (blocage, occupation, désarmement) et à organiser des mobilisations d'ampleur nationale, suscite l'intérêt de toutes celleux qui veulent penser la perspective d'une victoire tout en se méfiant de la verticalité de l'organisation des Soulèvements de la terre. Au sein de la dynamique de ces derniers, les comités locaux, tout jeunes et totalement autonomes par rapport au groupe dont ils émanent portent à la fois cet héritage (puisqu'ayant choisi de se revendiquer des Soulèvements de la terre) et la volonté de se servir de cette "coquille" pour y mettre localement leurs propres aspirations démocratiques. 


Les craintes citées ont, du côté des habitantEs de la Baud, créées de continuels désaccords entre elleux, ce qui a entrainé un désinvestissement partiel dans l'organisation des Digitales. Des espaces de discussions politiques ont manqué entre nos deux collectifs, à la fois pour se prémunir des préjugés, pour échanger sur le mode d'organisation du Convoi de l'eau et sur les conséquences que ça pouvait avoir sur nos collectifs.


La journée du samedi était le temps fort de la rencontre entre le Convoi et les digitales. Cela a vraiment marqué un pic dans le festival tant au niveau du monde, de la programmation (4 ateliers en simultané le matin) que du stress engendré. À l’occasion de la manifestation du Convoi l’après-midi et de la soirée, la cantine des Daronnes en Lutte - qui a d’ailleurs assuré sur tout le festival – a réussi le challenge de préparer 2 000 sandwichs dans la journée du samedi. La soirée a été vive en émotions puisqu’on a accueilli plus de 1200 personnes venues fêter la fin du Convoi de l’eau et soutenir les collectifs MaricoLandia (3) et Marokkueer Zawya (4), avec entre temps une manif devant la mairie de Montreuil en soutien à la Baudrière expulsée.


On a fait le pari, risqué, que deux mondes pourraient faire lien en contexte festif. Un protocole de lutte contre les agressions avait été mis en place par l'équipe des Digitales, en s'inspirant largement du taff réalisé par les copaines du collectif "Festivités Fight Sexisme" (5). L'application du protocole et l'équipe bienveillance (qui avait été très peu pensée en amont et organisée au dernier moment entre l'équipe de la Baud et celles du Convoi de l'eau qui ne se connaissaient pas) étaient fragiles.


Ce n'a pas empêché que des actes de transphobie et de remarques racistes aient lieu tout du long de la soirée. Les personnes à l'entrée de la soirée ont par exemple subi des mégenrages par centaines, des agressions et des violences verbales par des personnes qui ne comprenaient pas le cadre de la soirée. 


En connaissance de cause, rappelons que ce genre d'agressions peuvent se perpétrer aussi bien lors de soirées queer féministe que dans des espaces mixtes. Les "safe" spaces n'existent pas mais nous pouvons créer des espaces festifs et de rencontre où la vigilance et la pédagogie portées aux oppressions sont omniprésentes. Cela demande de penser nos stratégies de lutte depuis la nécessité de prendre soin des un.es et des autres.


Le festival des Digitales était un temps fort, à la fois pour rester ensemble et solidaires au lendemain de l'expulsion de la Baudrière, et pour permettre aux participantEs du Convoi de l'eau de célébrer la fin de leur périple. 


Comment faire pour que cette rencontre ne soit pas juste un partage d'espace festif entre deux groupes qui ne feraient pas vraiment ensemble ? Comment en faire davantage qu'un symbole, qu'une volonté de liaisons politiques qui peine à se réaliser concrètement et à se prolonger ? Comment construire des complicités durables, en considérant la diversité de nos expériences et de nos pratiques au sein des luttes écologistes ?


Affaire à suivre ...




Lexique (*): 

arable = terre qui peut être labourée

généalogie = leur filiation, leurs origines, leur histoire


(1) https://labaudriere.noblogs.org/post/2023/08/17/pourquoi-defendre-la-baudriere-fr-en/

(2) https://labaudriere.noblogs.org/post/2023/09/01/queers-veners-defends-la-baudriere-recit-collectif-de-la-defense-et-de-lexpulsion-de-la-baudriere/

(3) https://www.instagram.com/maricolandiacolectiva/

(4) https://www.instagram.com/marokkueerzawya/

(5) http://lesresistantes2023.fr/organisation-benevoles/